Jeudi 15 janvier 2015

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Santé - Désignation de rapporteurs

La délégation procède tout d'abord à la désignation de rapporteurs sur les dispositions du projet de loi relatif à la santé (A.N. n° 2302, 14ème législature), dont elle a été saisie par la commission des affaires sociales.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous allons aborder aujourd'hui les auditions concernant le projet de loi relatif à la santé, dont la délégation a été saisie par la commission des affaires sociales.

Je rappelle que ce texte ne devrait pas être examiné à brève échéance : compte tenu de notre charge de travail, j'ai souhaité que nous puissions anticiper ces auditions par rapport à l'ordre du jour.

Avant de faire entrer la première personne que nous allons auditionner, il nous faut procéder à la désignation de notre rapporteur-e, ou de nos rapporteur-e-s.

Selon moi, rien ne s'oppose à ce que ce texte soit porté, au nom de la délégation, par des co-rapporteurs représentant des groupes différents, comme cela a été fait dernièrement à propos des jouets.

A ce stade, les candidatures de nos collègues Annick Billon et Françoise Laborde m'a été communiquées.

Y a-t-il d'autres candidatures ?

Je n'en vois pas. Mes chères collègues, je vous félicite.

Annick Billon et Françoise Laborde sont donc chargées d'établir le rapport d'information que la délégation consacrera, le moment venu, à ce projet de loi.

Santé - Audition de Mme le Pr. Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCA)

Puis la délégation auditionne Mme le Pr. Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCA) sur le thème « Genre et cancers : la situation en France ».

Mme Chantal Jouanno, présidente. - J'ai l'honneur d'accueillir Mme la professeure Agnès Buzyn, qui nous présentera ses réflexions sur les femmes et le cancer, dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la santé. Notre délégation vient de désigner ses rapporteures sur ce texte, nos collègues Annick Billon et Françoise Laborde. Ce projet de loi, dont notre délégation a été saisie par la commission des affaires sociales, nous offre l'occasion de travailler de manière générale sur la santé des femmes, sans nous limiter aux articles du texte qui concerne directement notre délégation.

Mme le Pr. Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa). - Je vous remercie de m'avoir invitée sur un sujet qui m'a interpellée, car nous n'avions jamais abordé la question du cancer sous un angle genré. En termes d'épidémiologie, les hommes ont une incidence de cancer supérieure à celle des femmes, et la mortalité masculine est plus importante. Si, depuis trente ans, le nombre de cancers a doublé dans la population française, notamment à cause de son vieillissement, à partir de 2005, on constate que le taux d'incidence a diminué chez les hommes et qu'il s'est stabilisé chez les femmes. Ces tendances s'expliquent par le fait que les hommes ont réduit leur consommation de tabac et d'alcool, ce qui n'est pas le cas des femmes. Néanmoins, le taux de cancers du sein commence à baisser, grâce à la moindre utilisation du traitement hormonal substitutif de la ménopause.

Si l'on fait abstraction du tabagisme, les femmes sont plus sensibles aux messages de prévention et d'éducation à la santé. Elles sont plus soucieuses d'alimentation et de vie saines. Le taux de prévalence du tabagisme reste néanmoins très élevé, soit 33 % chez les femmes de 25 à 45 ans, notre pays se situant parmi les mauvais élèves dans ce domaine. Conséquence directe de ce phénomène, le nombre de cancers du poumon a augmenté de manière considérable chez les femmes : il a quadruplé en dix ans et devrait être l'an prochain plus mortel que le cancer du sein.

Concernant le dépistage, on constate que les femmes sont souvent plus raisonnables que les hommes. Il existe deux dépistages organisés dans la population, celui du cancer du sein et celui du cancer colorectal. Le taux de participation au dépistage du cancer du sein est de 52 % ; 62 % si l'on prend en compte les femmes qui se font dépister en marge du programme, à titre individuel. C'est un bon chiffre, par rapport à l'objectif de 75 % fixé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le dépistage du cancer colorectal est recommandé tous les deux ans entre 50 et 74 ans. Il s'agit du troisième cancer chez les hommes, du deuxième chez les femmes. Le taux de participation au dépistage reste faible (32 %), alors que 18 000 personnes meurent chaque année d'un cancer colorectal. Les femmes se montrent toutefois plus raisonnables que les hommes, un écart de dix points séparant les deux courbes.

Nous avons prévu de mettre en place un troisième dépistage organisé, celui du cancer du col de l'utérus. Actuellement, 40 % des femmes se font dépister régulièrement, par un frottis effectué tous les trois ans, entre 25 et 70 ans. Cela reste insuffisant, d'autant que l'on doit prendre en compte des aspects socio-économiques, les franges les plus pauvres de la population n'ayant guère accès au dépistage. En revanche, le dépistage du cancer de la prostate ne relève pas de la même priorité : 50 % des cancers diagnostiqués le sont à tort, donnant lieu à des traitements inutiles avec des séquelles importantes en termes de qualité de vie. Autrement dit, sur le cancer, notre inquiétude concerne plus les hommes que les femmes.

Des études ont montré que les femmes allaient plus facilement chez le médecin. Il reste à étudier les stades de diagnostic pour voir s'ils sont plus précoces chez les femmes que chez les hommes. Cela permettrait de sensibiliser la population à la nécessité de consulter régulièrement un médecin, car un diagnostic précoce favorise les chances de survie. Enfin, le registre des essais cliniques montre que 10 % des patients y participent, sans différenciation de genre pour les recrutements des personnes qui y participent.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Ce n'est pas le cas, semble-t-il, aux États-Unis, où l'on a constaté une sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. En ce qui concerne le cancer du poumon, pouvez-vous nous confirmer qu'il sera le plus mortel chez les femmes d'ici un an ?

Pr. Agnès Buzyn. - Il passera devant le cancer du sein, dont le dépistage devient de plus en plus précoce et le traitement plus efficace. Le cancer du poumon, lui, se caractérise par une absence de dépistage, un diagnostic souvent tardif et un tabagisme qui perdure chez les femmes. À cela s'ajoute l'absence de progrès dans le traitement.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Un rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2010 sur la santé des femmes fait état d'une augmentation du cancer du pancréas. Les femmes sont-elles plus touchées ? Doit-on lancer des recherches particulières pour identifier les causes de ce cancer ?

Pr. Agnès Buzyn. - La différence entre hommes et femmes n'est pas significative en ce qui concerne ce cancer, qui est essentiellement lié au tabagisme. S'agissant des autres types de cancer, le lymphome est l'un des seuls cancers qui trouve ses causes dans une dégradation de l'environnement, notamment l'utilisation des pesticides. Il fait de plus en plus de victimes, hommes et femmes. Le cancer des testicules est en augmentation, également, chez les hommes.

Mme Corinne Bouchoux. - Qu'en est-il de l'accompagnement aux soins ? Souvent, les femmes se rendent seules aux consultations, et l'on constate une moindre implication de leur conjoint. C'est moins vrai pour les hommes, davantage accompagnés pendant leur traitement, semble-t-il, par leur conjointe ou compagne. Par ailleurs, les femmes participeraient plus facilement aux groupes de parole que les hommes. Disposons-nous d'études sur ce sujet ? Enfin, que donne l'étude en cours sur « lymphome et sida » ?

Pr. Agnès Buzyn. - Nous n'avons pas d'étude objective sur l'implication des hommes dans l'accompagnement des femmes malades du cancer. Néanmoins, comme praticienne, j'ai effectivement pu constater que les femmes viennent plus souvent seules aux consultations que les hommes. Elles éprouvent également davantage besoin du soutien des groupes de parole collectifs. Pour accompagner les patients, nous distribuons chaque année près de 300 000 guides sur le cancer, sans qu'aucune distinction ne soit faite entre femmes et hommes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Ce matin, à la radio, un sociologue établissait un lien entre le travail de nuit des femmes et le développement d'un cancer. Qu'en pensez-vous ?

Pr. Agnès Buzyn. - Ce lien est établi et connu. De même pour le travail posté.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - J'entends dire que la recherche a beaucoup progressé pour le dépistage du cancer du poumon, y compris avant que le cancer ne se déclare. Qu'en est-il ?

Mme Vivette Lopez. - Le cocktail « tabac, alcool, contraception » n'est-il pas un des premiers facteurs incriminés dans le développement des cancers ? Je travaille avec une association de handicapés. Les femmes handicapées n'ont souvent pas accès aux gynécologues pour des raisons de mobilité. Comment favoriser le dépistage chez ce type de population ?

Pr. Agnès Buzyn. - Le travail de nuit et le travail posté favorisent l'apparition de cancers chez les hommes et les femmes. Pour le cancer du sein, cela a été mis en évidence par les études depuis longtemps. On a beaucoup publié sur le dépistage du cancer du poumon. Ces études doivent faire l'objet d'une certaine prudence, notamment parce que les cellules circulantes ne sont pas forcément synonymes de cancer déclaré. Nous travaillons sur le dépistage du cancer du poumon par scanner chez les gros fumeurs. De plus, la consommation régulière d'alcool accroît le risque de cancer : un verre par jour suffit à augmenter les risques. On ignore en revanche l'incidence d'une consommation excessive occasionnelle d'alcool. Lorsque s'ajoute le tabac, ce risque est multiplié par 35. En revanche, la contraception n'a aucune incidence, à l'inverse du traitement hormonal de la ménopause dont le rôle dans le déclenchement du cancer du sein est établi. Certaines populations n'ont pas accès aux campagnes de dépistage, les handicapées physiques ou psychiques, par exemple, j'en suis consciente. Des mesures ont été prises à leur adresse dans le plan cancer.

Mme Françoise Laborde, co-rapporteure. - Pour diagnostiquer le cancer de la prostate, les laboratoires n'utilisent pas forcément les mêmes protocoles. Or les résultats peuvent être très différents en fonction des test. Cela ne pose-t-il pas un certain nombre de problèmes ?

Dans les médias, on a beaucoup entendu parler d'une étude démontrant que l'hérédité avait moins d'influence dans le déclenchement d'un cancer que ce que l'on pensait. Est-ce vrai ? Les femmes sont particulièrement sensibles aux soins de support, nutrition, hygiène de vie et médecines douces. Ces soins sont-ils reconnus ? Sont-ils utiles ? Serait-il justifié de les faire valoir auprès des hommes ?

Mme Michelle Meunier. - Que vous inspirent notre sujet de réflexion et notre questionnaire, en tant que professionnelle de santé ? Avez-vous des recommandations particulières à nous faire ?

Mme Annick Billon, co-rapporteure. - Il y a sans doute une corrélation entre le fait que la majorité des femmes consultent un gynécologue et le diagnostic précoce des cancers du sein et de l'utérus. N'y aurait-il pas un travail à faire auprès des médecins traitants pour améliorer le dépistage du cancer chez les hommes ?

Pr. Agnès Buzyn. - Pour le dépistage du cancer de la prostate, les laboratoires font désormais l'objet d'une certification et se voient attribuer un critère qualité, ce qui est une garantie contre les erreurs de dosage. La détection est discutable : dans 50 % des cas diagnostiqués, le cancer ne fera pas parler de lui. Tous les hommes décédés à cent ans, s'ils étaient autopsiés, montreraient un cancer de la prostate.

L'étude publiée dans la revue « Science » le 2 janvier 2015, qui affirme que l'essentiel des cancers est dû au hasard, doit être prise avec précaution... et lue correctement, car elle traite uniquement des cancers dont l'origine n'est pas connue, soit les deux-tiers d'entre eux. Le facteur génétique dans le cancer du sein, par exemple, est bien connu. La plupart du temps, les cancers se logent dans des tissus où le renouvellement cellulaire est important. Les mutations surviennent au hasard, de sorte que l'étude a pu conclure que les cancers étaient plus liés au hasard qu'à l'hérédité. Les auteurs ne remettent pas en cause ce que l'on sait de certains cancers : ils s'intéressent au mode de déclenchement des cancers dont on ignore les facteurs.

En cancérologie, les soins de support sont la nutrition, la rééducation physique, l'accès aux soins psychologiques et les démarches sociales. Tout le reste, auriculothérapie, hypnose ou autre relève de la médecine complémentaire ou des médecines alternatives. Nous sommes très vigilants à l'égard des médecines non évaluées. Un gros travail d'évaluation est en cours sur l'hypnose et l'acupuncture.

Mme Michelle Meunier. - Considérez-vous l'acupuncture comme une médecine alternative ?

Pr. Agnès Buzyn. - Non, c'est une médecine complémentaire. Il est rare qu'un patient ne se traite que par l'acupuncture. En tant que praticien, j'ai constaté que ce type de médecine avait davantage de succès auprès des femmes, mais aucune étude ne le confirme - ces soins n'étant pas remboursés, les données manquent.

Si j'ai répondu à votre invitation, c'est que votre sujet m'a donné matière à réflexion, car jamais on n'a abordé la question du cancer sous cet aspect genré. J'ai ainsi été amenée, pour préparer cette réunion, à retravailler les données dont nous disposons à l'INCa. Ce sujet m'a également incitée à réfléchir à une personnalisation des messages de prévention adressés à la population. Des campagnes de communication différenciées seraient sans doute plus efficaces, notamment pour la prévention du cancer du côlon.

Les femmes n'ont accès au gynécologue que dans les grandes villes. Dans certaines zones rurales, il n'y en a pas. Du reste, les gynécologues médicaux sont appelés à disparaître. Seuls subsisteront les gynécologues obstétriciens, qui ont reçu une formation chirurgicale. Il reviendra aux médecins généralistes de faire les frottis, par exemple, alors qu'ils ne sont pas formés pour cela. Les sages-femmes pourront le faire également. Cependant, la disparition des gynécologues médicaux est inquiétante pour l'avenir.

Mme Marie-Pierre Monier. - Certaines professions prédisposent-elles davantage au déclenchement d'un cancer ? Je pense aux agriculteurs et viticulteurs, chez qui l'utilisation de pesticides favoriserait le développement du cancer du cerveau. Le voisinage d'une centrale nucléaire peut-il expliquer certains cancers ? Enfin, une polémique existe sur un lien entre mammographie et aggravation du cancer du sein. Qu'en pensez-vous ?

Mme Corinne Bouchoux. - Y a-t-il un lien entre le cancer du col de l'utérus et les pratiques sexuelles ? La recherche ne s'est pas beaucoup intéressée aux différences de développement du cancer de l'utérus chez les femmes selon qu'elles sont hétérosexuelles, homosexuelles ou bisexuelles.

Pr. Agnès Buzyn. - Certaines professions sont plus exposées que d'autres au risque du cancer. En ce qui concerne les agriculteurs, le seul risque supérieur avéré est celui du lymphome. Pour les autres cancers, ils ont un risque inférieur à la moyenne nationale ; et leur espérance de vie est de dix ans supérieure à la moyenne. Nous suivons les populations à risque en lien avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Les menuisiers, par exemple, sont particulièrement sensibles au cancer du laryngopharynx, car ils sont exposés aux poussières de bois. Aucune étude n'a pu établir un lien direct entre le voisinage d'une centrale nucléaire et le développement d'un cancer, sauf dans le cas de la leucémie chez l'enfant. Et encore l'étude a-t-elle montré que les victimes se trouvaient dans certaines zones très précises, à plus de cinq kilomètres, mais à moins de dix, de la centrale nucléaire. Ces résultats restent difficiles à interpréter. La leucémie chez l'enfant a tendance à se développer en « cluster », dans une même région. Les facteurs déclencheurs sont souvent davantage liés à l'exposition de la mère pendant la grossesse.

S'agissant du lien entre mammographie et cancer du sein...

Mme Marie-Pierre Monier. - ... je voulais parler de l'exposition aux rayons.

Pr. Agnès Buzyn. - En effet, plus on s'expose aux rayons ionisants, plus on augmente le risque de cancer du sein : il apparaît que 1 % des occurrences est lié à cette cause. Cela nous incite à ne recommander le dépistage qu'à partir de 50 ans car le bénéfice-risque devient, à partir de cet âge, intéressant. Nous ne sommes pas favorables, en revanche, à un dépistage systématique à 40 ans. Des études sont en cours sur le HIV et le cancer, en partenariat avec l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS). Les pratiques sexuelles ont certainement un rôle dans le développement du cancer du col de l'utérus, qui s'explique dans 90 % des cas par la présence du virus HPV dans le col. Les femmes homosexuelles sont moins exposées que les hétérosexuelles. La meilleure protection reste le frottis tous les trois ans et la vaccination contre le HPV.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Le vaccin est-il recommandé ?

Pr. Agnès Buzyn. - Les vaccins sont toujours contestés en France. Avec l'aide de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), nous menons une étude comparative entre des cohortes de jeunes filles vaccinées ou non. Les résultats devraient être publiés à la fin du premier semestre de cette année. Si nous prouvons que le vaccin ne favorise pas le développement de maladies dégénératives, comme la sclérose en plaques, nous pourrons mettre fin à la polémique et recommander le vaccin. Un vaccin peut déclencher une maladie sans forcément en être la cause : il ne fait que l'accélérer. Plus on vaccine tôt, plus on réduit le risque de cancer du col de l'utérus. Le Haut Conseil de la santé publique recommande l'âge de 11 ans plutôt que 14 ans.

Mme Laurence Cohen. - Je travaille avec l'association E3M, très sérieuse, qui estime nécessaire de poser la question de la dangerosité des vaccins de manière scientifique. La présence de sels aluminiques dans certains vaccins est toxique pour le cerveau. Peut-on se contenter de peser les bénéfices et les risques, sans mener d'études plus approfondies ?

Pr. Agnès Buzyn. - Nous espérons que l'étude de l'ANSM démontrera que le vaccin ne favorise pas le développement de maladies dégénérescentes. C'est une étude très sérieuse qui travaille sur des cohortes de plusieurs millions de femmes. Effectivement, il arrive que les vaccins déclenchent certaines maladies. L'adolescence est une période particulièrement critique où peuvent apparaître des maladies dégénératives, la sclérose en plaque par exemple. C'est pourquoi il n'était pas judicieux de recommander le vaccin contre l'hépatite B à cet âge. Le lien entre vaccin et maladie est réel. Néanmoins, la maladie peut se déclencher même sans le vaccin. Le papillomavirus est la première cause de mortalité des femmes dans le monde entier, car il favorise le développement du cancer de l'utérus. Dans des pays comme l'Inde ou la Chine, où les femmes n'ont pas accès au gynécologue, le vaccin sauverait bien des vies. En France, on recense entre 3 000 et 4 000 cas de cancer du col de l'utérus, chaque année, dont 1 500 cas mortels. C'est le seul cancer dont la mortalité recommence à augmenter. Les facteurs socioéconomiques sont déterminants. Les victimes sont surtout des femmes qui n'ont pas la possibilité d'accéder au frottis et aux soins, c'est-à-dire les plus pauvres. Certaines femmes consultent à un stade très avancé, ce que l'on n'avait pas observé depuis trente ans - or le diagnostic tardif limite leurs chances de s'en sortir. Dans les DOM, le taux d'incidence est quatre à cinq fois plus élevé qu'en métropole. Peut-être faut-il vacciner certaines populations et pas d'autres ? En tout cas, nous devons être vigilants face à la recrudescence de mortalité liée à ce cancer.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - La prévention reste faible quant à l'exposition des femmes enceintes et du foetus à des facteurs cancérigènes. Travaillez-vous à la développer ?

Pr. Agnès Buzyn. - Nous n'avons aucune étude spécifique sur le sujet. En revanche, nous disposons de la cohorte E2N, financée par l'Inserm, le grand emprunt et EDF, qui est constituée d'une centaine de milliers de femmes. Elle a été prolongée par la cohorte E3N, composée des filles de ces femmes. L'étude de ces deux cohortes devrait être très fructueuse en termes de connaissances scientifiques, notamment sur les questions liées aux facteurs environnementaux et nutritionnels.

Mme Vivette Lopez. - Dans le sud, des enfants très jeunes s'exposent au soleil. Y a -t-il un risque cancérigène ?

Pr. Agnès Buzyn. - L'exposition aux UV naturels ou artificiels comporte toujours un risque très élevé de développement d'un mélanome. Dans le plan cancer, nous avions tenté de faire interdire les cabines de bronzage, comme en Australie. Nous avons échoué. Le décret prévu pour informer les clients est bloqué au Conseil d'État sous la pression du lobby des professionnels du bronzage. Il s'agit là d'un vrai enjeu de santé publique. Chaque année, au mois de juin, nous menons une campagne d'information, avec le soutien de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), en rappelant que les enfants sont les premiers à protéger.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à nos questions.

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente, puis de Mme Françoise Laborde, vice-présidente -

Santé - Table ronde « interruption volontaire de grossesse et contraception »

La délégation auditionne enfin, dans le cadre d'une table ronde consacrée à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception : Mmes Véronique Séhier, co-présidente, et Caroline Rebhi, responsable de la commission « Éducation à la sexualité » du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) ; Mmes Marie-Josée Keller, présidente, et Anne-Marie Curat, trésorière du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNOSF) ; Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et la contraception (CADAC) ; le Dr. Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets-Trousseau, secrétaire général du réseau REVHO (Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie) ; le Dr. Philippe Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie et du pôle femme-mère-enfant du Centre hospitalier de Roubaix, et le Dr. Jean-Claude Magnier, gynécologue, membre du conseil d'administration de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC).

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous tenons, aujourd'hui, notre seconde réunion sur le projet de loi relatif à la santé qui sera examiné par le Sénat. La délégation aux droits des femmes a été saisie par la commission des affaires sociales compétente sur deux articles du texte de loi : l'article 31 qui étend aux sages-femmes la compétence en matière d'IVG médicamenteuse et l'article 3 relatif à la contraception d'urgence.

Deux rapporteures viennent d'être nommées : Annick Billon et Françoise Laborde.

Nous accueillons, pour cette table ronde : Mmes Véronique Séhier et Caroline Rebhi, co-présidente et responsable de la commission éducation à la sexualité du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) ; Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception (CADAC) ; Mmes Marie-Josée Keller et Anne-Marie Curat, présidente et trésorière du Conseil national de l'ordre des sages-femmes ; le Dr. Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets-Trousseau, secrétaire général du réseau REVHO (Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie) ; le Dr. Philippe Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie et du pôle femme-mère-enfant du Centre hospitalier de Roubaix, et le Dr. Jean-Claude Magnier, gynécologue, membre du conseil d'administration de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC).

Un rapport du Haut conseil à l'égalité, publié en 2013, porte sur la question de l'IVG et, notamment, sur les problèmes d'accès à l'IVG dans notre pays. Il formule plusieurs recommandations dont l'une, portant sur la revalorisation des forfaits relatifs aux soins et à l'hospitalisation afférents à l'IVG, est entrée en vigueur au 31 mars 2013.

Je propose que nous écoutions, dans un premier temps, les interventions du planning familial et de la CADAC. Puis, nous céderons la parole aux représentantes de l'Ordre des sages-femmes ; elles évoqueront les nouvelles responsabilités que le projet de loi induira pour leur corps de métier en matière d'IVG et de contraception. Les docteurs Faucher, Lefebvre et Magnier concluront ces échanges.

Mme Véronique Séhier, co-présidente du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF). - Avant d'aborder la contraception, il me semble important de saluer cette nouvelle loi relative à la santé qui permettra de décloisonner prévention, soins, sécurité sanitaire et soins de ville en favorisant une démarche de promotion de la santé globale, en matière de santé sexuelle, au sens de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s'agit d'une évolution significative au regard de l'approche très morcelée qui prévaut à ce jour dans ce domaine.

On ne peut faire l'économie de s'interroger sur le lien qui s'établit de fait entre ce projet de loi et la réforme territoriale, puisqu'aujourd'hui les compétences sont réparties entre différents acteurs territoriaux : d'une part les questions relatives à la contraception pour les conseils généraux, et, d'autre part, la prise en charge des IST, de l'IVG et de la question des violences pour l'État. Or, pour nous, tout ceci doit relever d'une approche globale. Il apparaît essentiel de ne pas traiter les questions de contraception séparément de l'IVG, puisque ces deux thématiques relèvent d'un même droit des femmes. Au niveau législatif, nous devrons mener ensemble la réflexion sur ce point.

Je parlerai tout d'abord de l'identification de lieux de proximité par le projet de loi.

Le projet de loi précise les « lieux ressources » vers lesquels les femmes peuvent être orientées en matière de contraception et d'IVG. Il s'agit, avant tout, de lieux de proximité. Il conviendra de mener une réflexion approfondie sur cette question. En effet, si les Centre de dépistage anonymes et gratuits (CDAG), les Centre d'information de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (CIDDIST) et les Centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction (CAARUD) sont mentionnés, ni les centres de planification, ni les établissements d'information et de conseil conjugal et familial ne sont, en revanche, considérés dans le texte du projet de loi comme lieux de premier recours. Or, dans le cadre d'une approche globale, s'il est important d'impliquer les centres d'information et de dépistage des IST, on ne saurait exclure les centres de planification. J'ai le sentiment que les politiques en matière de santé sexuelle sont très liées à la bonne volonté des conseils généraux. La planification familiale n'est pas, aujourd'hui, une politique à part entière. Nous privilégions une politique de protection maternelle et infantile (PMI) qui concerne les femmes en âge de procréer. L'approche « femmes et santé » est trop peu prise en compte : or une femme n'est pas obligée d'être mère. Un important travail doit donc être réalisé afin de promouvoir une véritable politique de planification familiale qui ne dépende pas uniquement de la volonté des conseils généraux. Dans une même région, des conseils généraux peuvent conduire des politiques différentes et développent, pour certains, des centres de planification. S'il existe toujours, à l'échelon départemental, une politique de protection maternelle et infantile, l'existence des politiques de planification familiale, sur ces mêmes territoires, est très variable. La loi de 2001 se décline donc de manière très différente selon les départements. Cette disparité se retrouve dans l'inégalité d'accès à la contraception.

Le lien entre le projet de loi relatif à la santé et la réforme territoriale est donc réel. À l'heure actuelle, il est parfois complexe de déterminer quelles sont les compétences des différents acteurs territoriaux (conseil général et conseil régional). Certains conseils généraux s'investissent fortement sur l'éducation à la sexualité, contrairement à d'autres ; certains créent des centres de planification, d'autres ouvrent seulement des permanences de planification dans les PMI, à des horaires peu accessibles aux jeunes et aux femmes actives. Un travail doit donc être réalisé pour élaborer une vraie politique de santé sexuelle qui prenne en compte l'accès à la contraception, l'accès au dépistage et aux soins. Or, ces différents aspects n'apparaissent pas clairement dans le texte du projet de loi.

Venons-en maintenant à la contraception d'urgence.

Le projet de loi met particulièrement l'accent sur la contraception d'urgence en milieu scolaire afin de réduire les inégalités de santé : cela doit, à mon sens, être salué. Les infirmières scolaires rencontrent cependant de grandes difficultés à la dispenser. Et qu'en est-il des élèves non scolarisées ? La politique d'accès à la contraception en centres de planification concerne les mineures, mais pas les femmes de 18 à 25 ans qui renoncent pourtant bien souvent à une contraception car elles ont du mal à se la procurer. Toutes ces inégalités sociales, territoriales et économiques sont une réalité en ce qui concerne l'accès à la contraception. Il semble donc important d'élargir l'accès à celle-ci, au-delà de la seule contraception d'urgence.

Il convient également de réfléchir aux modalités d'accès en dehors du milieu scolaire, en impliquant des professionnels formés et bénévoles : centres de planification, sages-femmes mais aussi médecins en réseaux qui pourraient, comme dans certains départements, distribuer la contraception selon les mêmes modalités que les centres de planification. En tout état de cause, il faut s'appuyer sur des lieux, médicalisés ou non, qui peuvent être des lieux relais.

J'aborderai ensuite le rôle des sages-femmes dans la pratique de l'IVG.

Le projet de loi prévoit que les sages-femmes puissent pratiquer des IVG médicamenteuses. À nouveau, nous plaidons en faveur d'une approche globale : le choix entre IVG médicamenteuse et par voie chirurgicale doit être ouvert aux médecins comme aux sages-femmes. Il serait, selon moi, regrettable de limiter l'accès, pour les sages-femmes, à la seule IVG médicamenteuse. Les inégalités territoriales en matière d'accès à l'IVG sont connues, d'où l'intérêt de renforcer le rôle des lieux de proximité. En Belgique, l'IVG médicamenteuse et l'IVG par aspiration se font dans des centres de proximité, avec des médecins et des sages-femmes formés, en lien avec l'hôpital, ce qui facilite l'accès à l'IVG pour les femmes éloignées des structures hospitalières. En France, dans certains territoires, des centres de planification et des hôpitaux de premier recours pourraient tout à fait permettre cet accès à l'IVG dans la proximité.

Mme Maya Surduts, secrétaire générale de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et la contraception (CADAC). - Je voudrais d'abord rappeler que la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi hôpital, patients, santé et territoires » ou « HPST » et la tarification à l'activité (T2A) sont des obstacles majeurs, non seulement pour la santé en général, mais particulièrement pour l'accès à l'IVG. En effet, depuis l'entrée en vigueur de ce texte, ce sont quelque 130 lieux où l'on pratiquait de l'IVG qui ont disparu. De plus, parmi les lieux où l'on pratique des IVG, il y a les maternités. Or on n'en compte plus qu'environ 520 sur le territoire français. Les femmes se retrouvent donc confrontées, dans ce domaine, à des difficultés accrues.

La loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception prévoyait l'existence d'un centre pratiquant des IVG dans chaque hôpital, ce qui, aujourd'hui, n'est pas le cas. Pour autant, aucune sanction n'est prévue. Par ailleurs, la clause de conscience est spécifique à l'IVG et n'existe pour aucun autre acte médical. Ce faisant, on maintient une défiance par rapport à ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps, et ce 40 ans après la loi Veil. Ces diverses lois n'ont donc pas réglé tous les problèmes car les inégalités entre hommes et femmes subsistent. N'oublions pas que la différence de salaire entre les hommes et les femmes est encore de 27 %.

Le Planning familial, la CADAC et l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC) ont publié ensemble un manifeste sur l'interruption volontaire de grossesse. Nous voulons, pour répondre aux besoins dans ce domaine, une véritable volonté politique en faveur du droit des femmes, avec du personnel dédié et la mobilisation de réels moyens. C'est pour défendre ces revendications que nous appelons à une manifestation, samedi prochain, à l'occasion du 40ème anniversaire de la loi Veil.

Je tiens, par ailleurs, à saluer les mesures prévues par le projet de loi à l'égard des sages-femmes. Leur permettre de jouer un rôle plus important pour l'accès à l'IVG et à la contraception nous semble constituer une avancée considérable.

Des problèmes économiques et sociaux se posent en matière de contraception. La polémique autour de la pilule de 3ème ou 4ème génération a suscité des doutes, créant un climat d'incertitude. Certaines femmes ont renoncé à la pilule par peur des effets secondaires. Il paraît indispensable de maîtriser davantage les produits mis sur le marché, en contrôlant les problèmes de conflits d'intérêts avec les laboratoires. Cette problématique ne concerne évidemment pas que la contraception.

Nous tenons beaucoup à ce que l'ensemble des moyens de contraception sur ordonnance puissent être remboursés. Nous connaissons la situation économique et sociale du pays : la tendance est à la précarisation, notamment des femmes jeunes qui ne peuvent pas toutes payer les frais induits par la contraception. Une avancée est enregistrée avec la contraception gratuite pour les mineures, mais cette gratuité doit être élargie.

Nous tenons également à l'abrogation de la loi « HPST » et demandons la création d'un centre d'IVG par hôpital, avec, pour les femmes, le choix de la méthode.

Mme Marie-Josée Keller, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes (CNOSF). - Pour rappel, les sages-femmes exercent une profession médicale et sont des acteurs fondamentaux pour la santé des femmes et des nouveau-nés. Cette profession est particulièrement concernée par les choix politiques relatifs aux questions de santé publique, surtout en ce qui concerne la prévention. Depuis la loi du 17 janvier 1975 qui a légalisé l'IVG, plusieurs réformes ont permis d'élargir l'accès à la contraception et de réduire les inégalités sociales quant au recours à l'IVG. Je mentionnerai notamment l'assouplissement de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse pour les mineures, en 2001. En mars 2013, la prise en charge a été améliorée avec la mise en place de la gratuité de l'acte pour toutes les femmes. La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes constitue une avancée majeure puisqu'elle supprime, dans le texte de loi sur l'IVG, la condition de détresse prévue par la loi Veil de 1975. Désormais, toute femme « qui ne veut pas poursuivre une grossesse » peut faire le choix d'une IVG. Quant à la méthode médicamenteuse, elle s'est diffusée au sein de la population à partir des années 1990 et a été rendue accessible dans les cabinets en ville. Cette méthode a connu un développement extrêmement important : en 2009, elle représentait plus d'une IVG sur deux.

Le projet de loi relatif à la santé affirme la place déterminante de la prévention et de l'éducation à la santé dans les politiques publiques.

Il comporte des dispositions qui visent à étendre les compétences en matière d'IVG médicamenteuse aux 22 000 sages-femmes en activité. En effet, l'article 31 du projet de loi comporte un certain nombre de dispositions intéressant directement l'exercice de la profession de sage-femme, et plus particulièrement l'extension des compétences des sages-femmes dans ce domaine. L'ensemble des instances ordinales a été consulté sur ces nouvelles dispositions. 85 % des élus se sont prononcés pour que les sages-femmes puissent pratiquer l'IVG médicamenteuse.

Le Conseil de l'Ordre considère que les sages-femmes accompagnent les femmes en matière de contraception et pendant leur grossesse, quel que soit leur choix. Reconnaître la compétence des sages-femmes en matière d'IVG médicamenteuse permet donc aux femmes d'accéder plus facilement à l'IVG. Cette innovation satisfait le Conseil de l'Ordre et converge avec une volonté de l'Ordre de promouvoir une meilleure reconnaissance du rôle des sages-femmes, en lien avec le médecin traitant, dans le suivi de la contraception et dans la réalisation des IVG.

Les sages-femmes sont d'ores et déjà prêtes à intervenir dans la prescription et le suivi des IVG médicamenteuses, d'autant que nombre d'entre elles travaillent déjà dans les centres d'orthogénie. Il convient également de souligner que cette nouvelle disposition devrait faciliter le fonctionnement de ces centres.

S'agissant de la contraception, il y a peu à dire puisque la loi « HPST » nous a déjà donné la possibilité de prescrire toutes les formes de contraception aux femmes en bonne santé.

Dr. Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets-Trousseau, secrétaire général du Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO). - Je commencerai par rappeler les recommandations du Haut Conseil à l'égalité (HCE f/h) sur l'accès à l'IVG.

Il y a deux ans, nous avons participé à la rédaction du rapport remis au HCE f/h, et qui comporte 34 recommandations. Je souhaite revenir sur quelques-unes d'entre-elles. J'ai fondé, il y a dix ans, avec plusieurs collègues, le Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO) en Ile-de-France. Il s'agit d'une association qui bénéficie de fonds publics et qui a permis de développer l'IVG médicamenteuse en ville, en Ile-de-France, avec un certain succès.

Dans le rapport du HCE f/h, quelques recommandations me semblent importantes :

- la recommandation n° 9 visait à étendre la possibilité de recueillir la première demande d'IVG d'une femme auprès d'autres professionnels qu'un médecin. Ce point est extrêmement important car cette première démarche fait courir les délais légaux ;

- une autre recommandation (recommandation n° 10), qui n'a pas été retenue par le gouvernement, tendait à supprimer le délai de réflexion de sept jours entre la première demande d'IVG et sa confirmation. Nous sommes toujours partisans de cette suppression. Puisque le projet de loi ne revient pas sur ce sujet, il semble indispensable que ce délai de réflexion puisse commencer à courir à partir d'un premier entretien qui devrait pouvoir être réalisé avec un professionnel autre que le médecin. C'est pourquoi autoriser les sages-femmes à effectuer ce premier entretien est particulièrement satisfaisant. Nous pourrions même envisager d'aller plus loin en instaurant un système d'auto-déclaration par les femmes concernées. En tout état de cause, il est indispensable de faciliter l'obtention du premier certificat pour faciliter le parcours des femmes souhaitant mettre un terme à leur grossesse.

Mon deuxième point concerne la mise en oeuvre de moyens nécessaires en matière d'IVG : recrutement et formation.

Des professionnels doivent être formés et compétents dans le domaine de l'IVG. Cette pratique reposait principalement, depuis 1975, sur un militantisme hérité de la période pionnière de lutte pour le droit à l'IVG. La relève doit maintenant être assurée, faute de quoi la situation risque de se dégrader encore. La pratique de l'IVG n'est pas organisée de la même manière dans les autres pays européens, où le système privé réalise la majeure partie des IVG. En France, plus de 50 % des IVG sont réalisées dans le système public ; le système privé en effectue de moins en moins, pour des raisons de rentabilité. La charge de la pratique de l'avortement repose donc, en France, sur le secteur public : c'est au service public que doivent être attribués les moyens nécessaires et suffisants pour recruter des professionnels. Des fonds ont été alloués à cet effet aux maternités et aux services de gynécologie-obstétrique, mais sans véritable contrôle de leur affectation. Ces moyens ont souvent été affectés à d'autres activités. Pour protéger la pratique de l'IVG, il est indispensable de créer des unités fonctionnelles, voire des services hospitaliers, comme à Roubaix, pour protéger les moyens attribués à l'IVG. Ces unités fonctionnelles d'orthogénie devraient, si possible, ne pas être incluses dans les services de gynécologie-obstétrique.

Le recrutement de praticiens formés et investis dans la pratique de l'IVG est essentiel : encore faut-il cependant conférer à ces professionnels un statut convenable. Il est complexe de créer des postes de praticiens hospitaliers ; les médecins vacataires devraient gagner plus que 50 euros la matinée. Il faut proposer un statut décent pour intéresser de nouveaux médecins à cette activité. Les jeunes obstétriciens ne s'intéressent pas beaucoup à l'IVG, contrairement à certains jeunes généralistes que les centres d'IVG souhaiteraient recruter pour assurer la relève.

J'évoquerai ensuite la nécessaire mise en oeuvre d'un contrôle des services pratiquant l'IVG.

Le nombre d'IVG réalisées dépend du bon vouloir du chef de service. Or la pratique de l'IVG doit faire l'objet d'un contrôle, qui n'existe pas aujourd'hui. Cette fonction pourrait être dévolue aux agences régionales de santé (ARS), en inscrivant la pratique de l'IVG dans leurs objectifs. En Ile-de-France, l'ARS essaie de se saisir du problème en évaluant l'offre de chaque service hospitalier. Cette pratique devrait être généralisée à d'autres ARS.

Le réseau REVHO a constaté que l'IVG médicamenteuse pouvait être pratiquée par toute personne correctement formée. Dans la pratique, les sages-femmes réalisent déjà des IVG médicamenteuses, sous le contrôle d'un médecin. Que le projet de loi leur attribue cette compétence ne pose donc pas de problème. Des études comparatives ont été réalisées dans différents pays, et notamment en Suède. Il s'agissait d'analyser la pratique de l'IVG médicamenteuse par un médecin, par une sage-femme, voire par une infirmière formée : le résultat est exactement le même, en termes de succès, d'efficacité ou de taux de complication. Nous soutenons donc absolument la disposition du projet de loi étendant la pratique de l'IVG médicamenteuse aux sages-femmes.

Dr. Philippe Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie et du pôle femme-mère-enfant du centre hospitalier de Roubaix. - Je vous remercie d'auditionner des acteurs de terrain. Mon expérience est sans doute particulière car nous disposons, à Roubaix, d'un service d'orthogénie original, unique en France, pour la pratique de l'IVG.

Maya Surduts a indiqué que les maternités étaient le lieu privilégié de réalisation des IVG. Pourtant, les maternités et les services de gynécologie-obstétrique accusent un réel retard dans la pratique de l'interruption volontaire de grossesse, raison pour laquelle des centres autonomes ont été ouverts. Les unités qui prennent actuellement en charge les IVG sont essentiellement de grosses structures où cette pratique est courante pour améliorer la qualité de la prise en charge des femmes, notamment en faisant évoluer les techniques. Force est de constater que ce sujet n'a jamais été une préoccupation principale pour les obstétriciens. Paradoxalement, je suis plutôt favorable à la clause de conscience, car je préfère, pour la meilleure prise en charge possible des femmes, que les praticiens qui s'engagent dans la pratique de l'IVG soient volontaires.

Je parlerai en premier des avantages et des inconvénients de la pratique de l'IVG médicamenteuse par les sages-femmes.

Bien évidemment, les sages-femmes sont des professionnelles tout à fait compétentes pour prendre en charge l'IVG médicamenteuse. Dans certaines régions, il est extrêmement difficile d'obtenir dans des délais courts des réponses à des demandes d'IVG. C'est pour cette raison qu'en Ile-de-France l'IVG médicamenteuse en ville s'est développée.

Concernant l'IVG médicamenteuse en établissement de santé, donner cette compétence - et uniquement celle-là - aux sages-femmes expose, à mon avis, à un risque de monopratique. En effet, les restructurations amènent un certain nombre d'unités qui pratiquent les IVG à être absorbées par des services de gynécologie-obstétrique. Si les sages-femmes sont habilitées à pratiquer des IVG médicamenteuses, on court alors le risque de ne plus avoir recours qu'à cette pratique au détriment de l'aspiration. Or il est indispensable que les femmes concernées puissent avoir le choix de la méthode d'IVG. Les femmes n'ont souvent accès qu'à l'IVG médicamenteuse. Si les recommandations professionnelles préconisent de ne pas administrer le médicament au-delà de neuf semaines, il se trouve que certains services de gynécologie-obstétrique pratiquent des IVG médicamenteuses jusqu'à quatorze semaines.

À ce jour, les IVG médicamenteuses réalisées en ville s'effectuent en convention avec des centres référents. Si, demain, les sages-femmes peuvent pratiquer, en ville, des IVG médicamenteuses, il faudra que cette possibilité soit assortie d'une convention avec des centres référents qui pratiquent les IVG. Ne vous méprenez pas, il ne s'agit pas de défendre la « chasse gardée » des services d'orthogénie, mais de s'attacher à la qualité, à la sécurité et au respect des femmes qui demandent une interruption de grossesse.

J'aborderai maintenant la question du maintien du délai de réflexion de sept jours : c'est, à mon avis, une insulte faite aux femmes et aux professionnels de santé. C'est bien infantiliser les femmes que de penser qu'elles doivent consulter un médecin pour prendre leur décision. C'est aussi une insulte pour les professionnels qui prennent en charge les femmes en demande d'IVG. Ces derniers n'oeuvrent pas à la légère, ils sont à même de juger si un délai est nécessaire ou non ; le cas échéant, ils savent orienter certaines femmes vers un professionnel de l'écoute si elles ont besoin d'aide. L'utilisation parfois abusive de ce délai de réflexion peut en outre amener un dépassement du terme légal. Pour cette raison, deux femmes se sont récemment trouvées dans des situations délicates : la première a dû faire pratiquer une IVG en Espagne tandis que la seconde a accouché sous X.

En ce qui concerne le dépassement du terme légal, le problème des mineures est important puisque les grossesses de mineures sont parfois révélées tardivement : elles consultent trop tard pour bénéficier d'une interruption de grossesse en France. Je regrette l'existence d'inégalités territoriales en matière d'accès à l'IVG. Lorsque les jeunes femmes se trouvent en détresse psychosociale, il serait souhaitable qu'il y ait une écoute plus importante des comités d'interruption médicale de grossesse pour faciliter l'accès à cette interruption de grossesse en dehors des seuls contextes de viol ou d'agression sexuelle.

Dr. Jean-Claude Magnier, gynécologue, membre du conseil d'administration de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC). - Une chose doit être soulignée d'emblée : malgré les avancées, la question de l'avortement n'est toujours pas totalement réglée et fait toujours débat. Il est faux de prétendre que tout le monde admet l'avortement, y compris tous les praticiens censés s'en charger. On a voulu obliger les chefs de service d'obstétrique à prendre en charge ces interventions et imposer la pratique des IVG dans les services d'obstétrique. Parallèlement était programmée la disparition des centres d'IVG - disparition qui répondait à la volonté des pouvoirs publics de réaliser les IVG dans les hôpitaux, pour des raisons de santé publique. Les obstétriciens y étaient opposés à une très forte majorité. On leur a ensuite donné une sorte de blanc-seing, puisque les contrôles sont peu fréquents, sans prévoir une réelle organisation pour répondre à la demande.

L'IVG médicamenteuse est une solution que les femmes doivent pouvoir choisir ; dans les faits, elle est utilisée pour décharger les hôpitaux des IVG. Certains hôpitaux se sentent tenus de pratiquer des IVG ; d'autres, pas. C'est le cas de l'hôpital Necker qui, sans être pénalisé, réalise uniquement des interruptions médicales de grossesse. Alors que l'objectif est que l'IVG soit pratiquée dans tous les hôpitaux, on considère qu'il suffit qu'un hôpital, au sein du groupe hospitalier, pratique l'IVG : cela qui ne favorise pas l'accès aux soins pour les femmes.

L'important, à mon avis, est de privilégier des équipes pluridisciplinaires spécialement formées.

Il apparaît que des équipes pluridisciplinaires sont nécessaires puisque c'est dans les centres IVG que les femmes peuvent parler de ce qu'il leur arrive - mais aussi ne pas parler si elle ne le souhaitent pas. J'étais responsable du centre de Bicêtre, et quand l'entretien préalable avec un médecin n'a plus été obligatoire, on a constaté une très forte augmentation des entrevues avec les infirmières. Les femmes appréhendaient l'entretien officiel, mais elles appréciaient l'idée d'un accueil par une équipe. Dans les services d'obstétrique, le manque de personnel dédié et l'absence de culture pluridisciplinaire ne permet pas d'assurer un tel accueil.

Ce matin, en parcourant le journal gratuit « 20 minutes », j'ai lu un article relatif à l'étude d'un chercheur de l'Institut national d'études démographiques (INED) qui met en lumière une augmentation du recours multiple à l'IVG par certaines femmes. Les femmes sont libres de faire ce que bon leur semble, mais répéter les IVG n'est, selon moi, pas recommandé pour la santé. Il ne me semble pas non plus que l'IVG puisse être envisagée comme un moyen de contraception.

La multiplication des possibilités d'IVG médicamenteuses en ville me semble poser problème. En effet, certaines femmes ne se présentent pas à la visite de contrôle. Il me semble inquiétant de laisser les femmes seules et ne pas leur donner l'occasion d'une écoute. Entendons-nous bien : il s'agit simplement de rappeler combien il est important d'épauler les femmes et de les accompagner dans ces moments particuliers.

Dans les années 1990, les deux tiers des IVG s'effectuaient dans le secteur privé ; celui-ci s'est ensuite désengagé, jugeant la pratique peu rentable. Aujourd'hui 75 % des IVG sont réalisées dans le public. Ce désengagement du privé a été compensé par l'IVG médicamenteuse en ville qui, comme je le disais à l'instant, n'est pas sans poser de problèmes.

Le troisième sujet que je voudrais évoquer est la nécessaire redéfinition du délai de réflexion, qu'il faut revoir à mon sens.

Le premier contact avec un professionnel devrait faire courir le délai. Celui-ci pourrait même débuter dès que la femme a les résultats de son test de grossesse, puisque sa réflexion commence dès ce moment. Certes, trop de rapidité dans la réponse peut être néfaste et il faut prendre le temps de la réflexion. Il arrive encore que le délai ne puisse débuter que lorsque le praticien a reçu la femme, même si celle-ci a déjà rencontré son médecin traitant auparavant. Les délais, de ce fait, se trouvent rallongés. Le délai pourrait donc commencer à courir au moment où la femme apprend qu'elle est enceinte.

Un point important concerne les femmes qui dépassent le délai légal de quatorze semaines. Certaines se rendent dans un autre pays, mais toutes n'ont pas cette possibilité. Cela me conduit à évoquer les interruptions médicales de grossesse qui, rappelons-le, ne peuvent résulter de la seule décision du médecin. Ce dernier doit également prendre en compte le choix de la femme et du couple. Une polémique porte sur le fait que, si un diagnostic anténatal a été réalisé avant le délai de quatorze semaines, une femme ne peut plus demander à subir une IVG sans en donner la cause. Le texte est ambigu : si une procédure d'interruption a été lancée pour raisons médicales, il faut s'en tenir à cette procédure et il n'est pas possible de relever d'une IVG. Or, pour moi, la loi générale s'applique à tout le monde, y compris aux femmes dont la grossesse présente une anomalie et qui voudraient l'interrompre. Ce point devrait être précisé dans le projet de loi. Il conviendrait également de s'occuper des femmes ayant dépassé le délai de quatorze semaines.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je souhaite revenir sur les propos de Mme Séhier sur la réforme territoriale. Je ne pense pas que les politiques portées par les départements en matière de centres de planification et de santé sexuelle puissent être remises en cause. Vous disiez par ailleurs qu'il était nécessaire de renforcer ces politiques sans se contenter de permanences dans les PMI. Je partage ce point de vue et pense que le changement de mode de scrutin, qui conduira à la parité dans les départements, permettra des mesures plus volontaristes dans ce domaine, sachant qu'aujourd'hui nous, les femmes élues, rencontrons de réelles difficultés à convaincre nos collègues masculins de la nécessité de s'engager dans cette politique.

Au sujet des adolescentes et des jeunes femmes, j'ai l'impression qu'elles utilisent davantage les préservatifs que d'autres méthodes de contraception, considérant qu'elles peuvent prendre la pilule du lendemain en cas de problème.

Mme Annick Billon, co-rapporteure. - Ma question rejoint votre remarque sur les disparités territoriales. Le droit des femmes à interrompre une grossesse n'est pas satisfait de la même manière sur l'ensemble du territoire. Les conseils généraux, dans leur orientation politique, ont-ils les moyens de limiter l'accès à l'IVG ou d'influer sur la diminution du nombre d'établissements qui pratiquent l'IVG ?

Mme Laurence Cohen. - Il convient peut-être, comme vous le suggériez, de renforcer la formation des professionnels, mais aussi de formuler une recommandation sur l'éducation à la contraception, qui marque actuellement un vrai recul. Dans les années 1970, les femmes ont obtenu le droit à la contraception et à l'IVG. Les jeunes filles ont, aujourd'hui, moins recours à la pilule et davantage au préservatif. C'est une question d'éducation, mais aussi d'accès à la pilule et à son remboursement. Nous devons réfléchir à ces questions.

L'IVG médicamenteuse n'est pas la seule méthode possible, rappelons-le. Le fait d'élargir l'intervention des professionnels aux sages-femmes est très positif et je ne pense pas que ceci entraînera une recrudescence de l'IVG médicamenteuse. Je crois pourtant que nous devons réfléchir à l'accompagnement de l'IVG. Je suis tout de même frappée par le fait que les personnes qui ont recouru à l'IVG médicamenteuse se retrouvent livrées à elles-mêmes, sans accompagnement psychologique. Un certain désarroi des intéressées est constaté. Il convient aussi de réfléchir à la revalorisation des actes en étudiant les conséquences négatives de la loi « HPST » et de la tarification à l'acte.

Sur le délai de réflexion, je partage les propos du Dr. Faucher. Je ne vois pas en quoi un délai est nécessaire. Je suis donc tout à fait d'accord avec l'auto-déclaration, car la décision dépend de la femme et du couple.

Je me permets de revenir sur la problématique des collectivités territoriales. Dans le contexte actuel, les collectivités territoriales subissent des restrictions budgétaires. Pour cette raison, l'engagement des conseils généraux dans leur politique d'IVG pourrait être remis en cause. Certains professionnels s'en inquiètent. Comment éviter que les conseils généraux ne réduisent les moyens affectés à l'IVG ? Certains élus mélangent contraintes budgétaires et idéologie pour justifier la réduction des budgets consacrés à cette pratique.

Mme Marie-Josée Keller. - La question de la clause de conscience a été évoquée et je crois qu'elle doit vraiment être appliquée. On ne peut s'engager dans ces pratiques sans être convaincu de l'importance de l'IVG pour la liberté des femmes. Les réticences des professionnels doivent donc être respectées. Pour que les centres d'orthogénie fonctionnent correctement, les intervenants ne doivent pas exercer dans la contrainte. Un gros problème se pose actuellement sur l'employabilité des sages-femmes dans les hôpitaux qui fonctionnent à flux tendus. Certaines sages-femmes n'ont plus de poste fixe, mais vont de CDD en CDD. Certaines cumulent quinze ou vingt CDD, contrairement aux règles fixées par le code de travail. Si une sage-femme oppose une clause de conscience à la pratique de l'IVG, elle n'est pas recrutée. Or une telle clause doit être respectée.

Pour commencer, les sages-femmes pratiqueront des IVG médicamenteuses, ce que nous acceptons, mais il faut prendre le temps avant d'envisager de leur confier les autres types d'IVG. Laissons les sages-femmes s'approprier la première mesure, sauf si le législateur veut imposer une autre pratique, sachant qu'une formation précise serait alors indispensable.

Pour pratiquer les IVG médicamenteuses en ville, nous reconnaissons la nécessité d'une convention avec un service d'obstétrique.

Le temps d'écoute des femmes, je suis d'accord, est primordial. J'estime aussi que le délai de réflexion n'a pas lieu d'être, car les femmes ont le sens des responsabilités.

Un problème se pose s'agissant des soins aux mineures. Seul un médecin peut suivre une grossesse ou accoucher une mineure en l'absence d'accord parental. Or, dans la pratique, les mineures sont suivies par les sages-femmes. Il me semble important que les sages-femmes soient également habilitées officiellement à suivre les grossesses des mineures.

Un dernier point, toujours s'agissant des mineures, concerne la prévention des IST et la contraception. Il est important de prévoir une consultation remboursée à 100 % pour les mineures, que ce soit avec une sage-femme ou un médecin. Les jeunes femmes craignent le sida, mais relativement peu la grossesse. Or, il existe d'autres risques, comme les chlamydiae qui causent d'importants dommages aux trompes et génèrent des risques pour la fertilité de la patiente.

Mme Michelle Meunier. - On rejoint là la problématique de l'anonymat et du remboursement des soins aux mineures.

Mme Maya Surduts. - Le travail réalisé par la commission Santé du HCE f/h est extrêmement important et a permis, avant le vote de la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les hommes et les femmes, de remettre en question la condition de détresse.

Il ne faut pas sous-estimer la montée des idées réactionnaires dans le domaine des droits des femmes. La parité dans les conseils généraux ne suffira pas, d'autant que les prérogatives des conseils généraux concernent davantage la contraception que l'IVG. La tendance est actuellement de souligner le caractère traumatisant de l'IVG.

Nous en convenons, développer outre mesure l'IVG médicamenteuse pose problème si ce n'est pas le choix des femmes. Les médecins pratiquent parfois l'IVG médicamenteuse jusqu'à quatorze semaines, alors que les recommandations de la Haute Autorité de Santé fixent la limite à neuf semaines dans le public et sept semaines dans le privé. La commission Santé du HCE f/h a évoqué l'expérimentation de l'IVG chirurgicale, sous anesthésie locale, dans des centres de santé ou des plannings, en lien avec des établissements hospitaliers, ce qui permettrait une meilleure prise en charge. Ce point est en discussion à la Pitié-Salpêtrière et en Seine-Saint-Denis.

Les moyens contraceptifs doivent, à notre avis, être remboursés. Selon la situation de chaque femme, différentes solutions doivent être envisagées avec elle et les médecins ne doivent pas imposer leur conviction.

Dr. Jean-Claude Magnier. - Les départements ont des responsabilités en matière de planification familiale et de PMI. Dès lors que des IVG peuvent être faites dans des centres de planification, ceci influencerait aussi la pratique de l'IVG médicamenteuse.

Les ARS ne jouent pas toutes le même rôle. En Ile-de-France, un véritable travail a été effectué. Les ARS doivent contrôler les centres d'IVG, voire imposer la pratique d'IVG, si nécessaire en créant des équipes.

Mme Corinne Bouchoux. - Le Sénat examine actuellement le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTR) qui remet en cause la clause générale de compétence. Le débat d'hier portait sur la question des politiques éducatives. La suppression de la clause de compétence générale limite les possibilités d'action des collectivités. Un exemple très pragmatique a été cité dans le débat au Sénat : celui des manuels scolaires. Les interventions dans ce domaine seront fragilisées par le contrôle de légalité. Si les politiques éducatives constituent un « angle mort », tel sera également le cas d'autres politiques. La parité des conseils généraux ne permettra pas de résoudre le problème.

- Présidence de Mme Françoise Laborde, vice-présidente -

Mme Marie-Pierre Monier. - Comment assurer la relève des médecins pratiquant les IVG ? Vous avez parlé de politique éducative : pendant des années, le Planning familial se rendait dans les établissements scolaires. Des interventions sont aujourd'hui plus compliquées pour des raisons budgétaires.

Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure. - Je suis d'accord, les sages-femmes doivent s'approprier sereinement leur nouvelle compétence en matière d'IVG médicamenteuse. Je souscris aussi à l'idée que les IVG ne devraient pas être pratiquées systématiquement dans des services d'obstétrique. Je suis d'accord aussi avec le fait que le délai de réflexion pose problème.

Vous militez tous, par ailleurs, pour le temps d'écoute des femmes. Or, dans le privé, la rentabilité prime et, dans le public, les moyens manquent : comment maintenir le temps d'écoute dans ce contexte ? Nos recommandations doivent porter sur une augmentation du budget consacré à ces actes, en veillant à ce que les moyens affectés aux IVG ne soient pas consacrés à d'autres priorités.

L'anonymat des mineures est problématique pour le remboursement. Concernant la présence des infirmières et du Planning familial dans les collèges et les lycées, je suis d'accord avec mes collègues : les moyens manquent. C'est regrettable !

Dans les recommandations que formulera notre délégation, il faudra mettre l'accent sur l'anonymat des mineures, incompatible avec le remboursement a posteriori.

Dr. Philippe Lefebvre. - La prise en charge de l'interruption volontaire de grossesse à 100 % a certes simplifié la situation, mais la prise en charge des examens complémentaires connexes à l'interruption de grossesse continue à se poser. La mutuelle peut intervenir et la retenue de participation forfaitaire peut alerter les parents. Il faudrait prévoir l'exonération de cette part forfaitaire et la prise en charge des examens réalisés autour de l'interruption de grossesse. À défaut, dans certains cas, le dépistage des infections sexuellement transmissibles n'est pas assuré. Nous faisons de l'antibioprophylaxie à l'aveugle, faute de prise en charge du dépistage des IST.

En matière de formation, certaines régions ont mis en place des diplômes universitaires (DU) pour la formation des médecins. Ces formations rencontrent un réel succès. Je ne rencontre pas de problème pour assurer la relève, malgré une concentration sur les métropoles. Mais il faut que de véritables moyens soient consacrés à ces formations.

Dr. Philippe Faucher. - Pour continuer sur ce point, il ne faut pas tomber dans le manichéisme. En France, un certain nombre de gynécologues-obstétriciens pratiquent des IVG.

Mme Caroline Rebhi, responsable de la commission « éducation à la sexualité » du Mouvement français pour le Planning familial. - Le Planning familial intervient dans les établissements scolaires. La loi prévoit une intervention de la maternelle au lycée, trois fois par an par classe d'âge, mais le Planning n'intervient généralement qu'une fois par an, en classe de 4ème ou de 3ème. Le budget prévu pour cette intervention n'est que de 2,7 millions d'euros pour toute la France, raison pour laquelle le Planning sollicite d'autres financements. Les ARS et les conseils régionaux financent également ces visites dans les établissements scolaires. Les proviseurs peuvent parfois dégager des budgets, mais doivent choisir entre sexualité, drogues, obésité...

L'important n'est pas d'intervenir seulement sur des notions de biologie, mais de privilégier une approche globale et d'aborder le sujet sous l'angle de l'égalité entre les filles et les garçons, en prévention des violences sexuelles. À partir du collège et au lycée, la contraception et l'avortement sont également abordés.

Concernant l'interruption médicale de grossesse, la loi prévoit que les professionnels et le comité d'éthique valident l'interruption, mais elle n'évoque ni le viol ni les agressions sexuelles. Si une mineure se trouve enceinte après un viol, à Paris, seuls deux hôpitaux acceptent l'interruption médicale de grossesse. Sinon, il y a la solution de l'étranger...

Mme Véronique Séhier. - L'éducation à la sexualité dépend de l'implication des collectivités territoriales. Il faut des politiques volontaristes. Même chose pour l'accès à la contraception des mineures dans les centres de planification. Accueillir des jeunes dans les permanences de PMI n'est pas toujours facile : les filles ne prendront pas le risque d'y rencontrer leur mère ou une amie de leur mère. Il est donc nécessaire d'instituer un véritable pilotage de la politique de planification familiale.

La confidentialité est primordiale pour que toute personne puisse accéder à la contraception de son choix. Ceci concerne les mineures, mais aussi les jeunes adultes qui renoncent à la contraception, car elles ne veulent pas passer par la mutuelle de leurs parents. C'est un vrai problème !

Pour l'IVG, la confidentialité doit aussi être respectée au sein de l'établissement scolaire. Or, les parents peuvent être prévenus de l'absence de leur fille, parfois par des alertes automatiques.

Il faut se montrer très vigilant sur la manière dont on parle de l'IVG. Il est important de proposer des lieux de parole, mais toutes les femmes n'en ont pas besoin. Pour certaines, l'IVG est d'abord un soulagement ! Des jeunes femmes qui s'appellent « les filles des 343 » disent qu'elles ont avorté et qu'elles vont bien.

Enfin, la question des femmes étrangères doit être traitée. Bien que l'IVG puisse relever des soins urgents, certains hôpitaux la refusent à des femmes étrangères, considérant qu'il est trop compliqué de faire le dossier d'aide médicale de l'État (AME). Ces femmes se retrouvent alors hors délai.

Mme Laurence Cohen. - Sur le suivi psychologique, j'ai eu des retours d'expérience de jeunes femmes qui se sont senties abandonnées parce qu'après avoir pris le médicament destiné à l'IVG, elles n'avaient pas eu l'impression d'être véritablement suivies par la suite.

Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure. - La visite de contrôle est importante aussi sur ce plan : elle ne permet pas seulement un contrôle médical, mais constitue aussi un temps d'échange. Or elle n'est pas toujours assurée.

Mme Maya Surduts. - Je ne veux pas polémiquer, mais je souhaite revenir sur les gynécologues-obstétriciens. La maternité des Lilas a toujours lutté pour le droit à l'avortement. Si cette maternité n'est pas sauvée, la situation en matière d'IVG sera grave dans le département de Seine-Saint-Denis : cet établissement pratique 1 600 naissances et 1 000 IVG. Le chiffre habituel est plutôt d'un pour quatre. Nous tenons à la pérennité de cette structure. Les Bluets ont également une pratique exemplaire. Il ne faut pas systématiquement se défier des gynécologues-obstétriciens en matière d'IVG.

Dr. Jean-Claude Magnier. - Je suis d'accord : je parlais plutôt des obstétriciens-chefs de service. En 1994, une étude montrait que les IVG étaient pratiquées d'abord par les généralistes, puis par les gynécologues médicaux et enfin par les obstétriciens et les chirurgiens.

Mme Françoise Laborde, présidente, co-rapporteure. - Si nous avons des questions complémentaires, nous reviendrons vers vous. Je vous remercie d'être venus et d'avoir répondu à nos questions.